Nez qui coule, éternuements, asthme. De mars à octobre, le pollen sévit et touche nombre d’habitants. Pourtant, à Bordeaux, la mairie n’a pas adopté de politique sanitaire spécifique même si elle évite de planter dans la ville les espèces les plus allergènes.
A Bordeaux, les pollens et les allergies qu’ils entraînent ne semblent pas être considérés comme un problème de santé public prioritaire au détriment d’une partie grandissante des habitants. 50% des occidentaux seront allergiques entre 2030 et 2050 selon les prévisions de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Les allergies liées aux pollens touchent des patients jeunes : la moyenne d’âge des malades se situe entre 8 et 40 ans environ.
Elue en charge des espaces verts à la mairie de Bordeaux, Magalie Fronzes confirme qu' »aucune politique sanitaire concrète n’a été adoptée ». Sans directive particulière émanant des élus, le service des espaces verts a mis en oeuvre des actions de végétalisation qui consistent à ne plus planter les espèces d’arbres les plus allergènes. A savoir, le platane et le cyprès, deux des arbres les plus présents sur le sol bordelais et situés respectivement à 3 sur 5 et 5 sur 5 sur l’échelle d’allerginicité.
Les arbres bordelais et leur échelle d’allergénicité
Cyprès 5/5 Bouleau 5/5 Aulne 4/5
Frêne 4/5 Charme 3/5 Chêne 3/5 Noisetier 3/5
Carte des arbres allergènes les plus représentés à Bordeaux
Les arbres les plus plantés à Bordeaux ne sont pas forcément les plus allergènes.
A Bordeaux, les platanes sont les arbres les plus présents avec 5271 plants. Bien qu’ils ne présentent que 3 sur 5 sur l’échelle d’allergénicité, cette présence massive ne peut que aggraver les allergies aux pollens.
Le chêne, deuxième espèce la plus représentée, se place également à 3 sur 5 sur l’échelle d’allergénicité. Sur 29 286 arbres présents à Bordeaux, 3003 sont des chênes.
Parmi les arbres les plus allergènes, le bouleau est par exemple moins représenté. Le frêne, peu présent, n’en est pas moins très allergène, avec un potentiel de 4 sur l’échelle d’allergénicité.
Résultat : ce n’est pas le taux d’allergénicité de chaque espèce qui aggrave les risques d’allergies aux pollens, mais la densité d’arbres allergènes plantés dans le territoire.
Le saviez vous ? Les quinze espèces d’arbres les allergènes et les plus plantés à Bordeaux sont, par ordre décroissant d’allerginicité, le cyprès, le bouleau, l’aulne, le frêne, le charme, le noisetier, le platane, le chêne, l’olivier, le mûrier, l’hêtre, le peuplier, le tilleul, le châtaigner, l’orme.
« Nous savons que le pollen est un problème sanitaire national mais nous n’allons pas déplanter tous les platanes, les bouleaux ou les chênes de Bordeaux. Dans les espaces naturels de la ville, nous laissons la nature reprendre ses droits », déclare Magali Fronzes.
Pour Christophe Dangles, le responsable du patrimoine arboré de la ville de Bordeaux, « la tâche des agents techniques et de maintenance est délicate car il s’agit de composer entre plusieurs dimensions : les personnes allergiques, les arbres produisant beaucoup de pollen et leur place dans la bio-diversité et l’éco-système ». Les espèces allergènes font partie intégrante du patrimoine de la ville : le platane est planté en masse tout autour de la place des Quinconces, par exemple.
Allergologue à La Rochelle et présidente de l’Association de Recherche Clinique en Allergologie et Asthhmologie (ARCAA), Isabelle Bossé concède que la mairie de Bordeaux fait « des efforts », mais que mettre en place une politique sanitaire de lutte contre le pollen est un “casse-tête chinois” et que personne ne souhaite vraiment se pencher sur cette question.
Bordeaux Métropole réalise de son coté une surveillance des arbres les plus allergisants et promeut la diversification des plantations : des charmes à la place des platanes. Pour la végétation en ville, les professionnels jardiniers et paysagistes envoient une liste au Réseau National de Surveillance Aérobiologique (RNSA) concernant leurs futurs plantations afin qu’il le valide. Quant aux mairies, elles devront faire appel au RNSA pour des conseils sur le taux allergène des futurs arbres.
Grâce aux données fournies entre 2000 et 2010 par le RNSA, un changement de tendance du taux d’allergène et de la fréquence des pics se dessine à Bordeaux. Jean-Charles Farouz, médecin « sentinelle » au RNSA de Bordeaux, explique ce phénomène par deux phénomènes : la multiplication des jardins paysagers et le réchauffement climatique.
Des conditions climatiques en cause
D’une année sur l’autre, le taux de pollens varie en fonction des conditions climatiques. Chaleur, humidité, froid, sécheresse, ensoleillement et vent permettent ou non la dissémination des grains de pollens.
Deux autres facteurs entrent également en jeu : la pollution et le réchauffement climatique. La pollution urbaine aggrave la toxicité des pollens en fragilisant la surface des grains. Les polluants provoquent alors des facteurs irritants engendrant généralement des bronchites chroniques ou nasales.
Le saviez-vous ? Les polluants s’ajoutent aux grains de pollens ce qui aggrave leur caractère irritant et allergène.
En ce qui concerne le réchauffement climatique, le médecin Jean-Charles Farouz du RNSA de Bordeaux, l’affirme : « Avec des hivers de plus en plus doux et des étés de plus en plus chauds, les pics de pollens sont certes moins forts mais durent de longs mois ».
Une information confirmée par Nadine Dupuy, directrice du centre de palynologie au RNSA. Elle explique que les pics polliniques ont évolué à la hausse (4 à 5 fois de plus qu’il y a 20 ans) à cause de la pollution, mais surtout du changement climatique : « Les plantes essuient des chocs thermiques et s’en trouvent déboussolées ».
« Pour que la végétation se développe, il faut une phase dormante, avec du froid, et une phase de chaleur pour la fécondation. Or, depuis quelques années, il n’y a plus d’hiver mais seulement des gelées au mois d’avril. La plante pollinise pour assurer sa survie et se protéger ».
Mais il y a également un autre phénomène que nous explique Isabelle Bossé, allergologue et présidente de l’ARCAA : « Le changement climatique fait que les températures s’élèvent et les gens plantent des arbres allergènes dans des endroits où il n’y en avait pas avant. De plus, les durées de pollinisation étant plus longues, les températures faites pour la pollinisation d’une espèce vont durer 7 à 8 jours de plus en moyenne ».
Le saviez-vous ? Il y a plus d’allergies dans les villes que dans les campagnes parce que les gens vivant à la campagne sont génétiquement habitués à respirer des pollens depuis toujours. En ville, on l’est moins.
Trois chiffres, trois constats
- Il y a de plus en plus de gens allergiques en général (toutes allergies confondues).
- Dans les années 1965, 6 % de la population française était allergique (toutes allergies confondues).
- En 2015, 30 % des Français sont allergiques (toutes allergies confondues) soit plus de 10 millions de personnes. Sur ces 10 millions, 8 millions sont allergiques aux pollens et 4 millions d’entre eux doivent suivre un traitement contre ces allergies.
Une absence généralisée de politique sanitaire
Un constat : il n’y a pas de norme européenne, ni nationale, concernant la lutte contre le pollen. En France, il existe les Plans Nationaux Santé Environnement (PNSE) , qui font partie du Grenelle de l’environnement.
Le 3e PNSE, mis en oeuvre actuellement, comporte un axe sur la pollution de l’air intérieur, extérieur et les pollens, dont un volet de lutte contre l’ambroisie, une plante très allergène et qui prolifère très rapidement. Mais le « plan ambroisie » a été abandonné car il y avait plus d’une plante qui nécessitait une éradication complète.
« Sans les politiques, rien ne peut être fait »
Sans politique sanitaire, les moyens déployés en faveur de la diminution des allergies sont faibles. Jean-Charles Farouz l’affirme : « Sans les politiques, rien ne peut être fait. Les technocrates se soucient plus de la beauté de la ville que de la santé de la population. Il y aura 30 % en plus de personnes atteintes par des allergies dans les dix prochaines années pourtant on ne fait rien ». Certaines préventions « simples » sont pourtant possibles : homéopathie, prise de rendez-vous chez un allergologue pour une prise en main individuelle.
Pour Isabelle Bossé, la prévention est primordiale en matière d’allergie, mais c’est une maladie tellement complexe que la prévention primaire seule ne marche pas. « Elle ne peut se faire qu’au niveau collectif, sur les plantations et la qualité de l’air ».
Soizic Bour, Mélanie Delaunay, Garo Kevorkian