L’enquête
https://2015.datajournalismelab.fr/pas-trop-de-bio-dans-les-vins-de-bordeaux
Projet initial et recherche de données
Pour commencer, nous avons voulu voir si le vin bio de Bordeaux était un marché de niche, constater quelles appellations étaient plus vertes que les autres et finalement si ce type de viticulture était juste le fait de quelques petites exploitations de Gironde. Le but était donc en premier lieu de récolter des données de géolocalisation pour voir où se trouvait la majorité des exploitations bio.
Ensuite, nous avons voulu connaître les surfaces viticoles bio et les comparer dans les grandes régions viticoles pour voir à quel niveau se situe le Bordelais. Nous nous sommes vite retrouvés face à un mur. Personne n’acceptant de communiquer des données, pourtant ordinaires. La transparence n’est pas une vertu du monde viticole de Bordeaux. Si l’information était accessible pour d’autres régions de France, en Aquitaine et précisément en Gironde, ces informations sont difficilement accessibles pour deux raisons : un secret relevant de l’intelligence économique et une inaptitude à coordonner des branches et agglomérer des données.
Pour collecter les données sur le nombre de vignerons bio, nous avons d’abord fait appel à l’Agence-bio qui recense toutes les données sur le bio, ainsi que l’annuaire des viticulteurs bio de Gironde. Mais ces informations sont classées confidentielles. Nous avons ensuite demandé à Arbio, Bio Gironde, nous n’avons pas eu de réponse. Nous nous sommes enfin tournés vers le Syndicat des vignerons bio de Bordeaux qui nous a accordé une interview, sans pour autant nous donner de chiffres : « ils ne peuvent circuler qu’en interne ».
Pour les données concernant le nombre total de vignerons en Gironde, le CIVB (Conseil interprofessionnel des vins de Bordeaux), qui s’occupe des 60 AOC du vignoble bordelais n’a pas voulu communiquer, ni la Fédération des grands vins de Bordeaux. Culture du secret ou incompétence ?
Réorientation
C’est ainsi que nous nous sommes intéressés à cette « mafia » du vin de Bordeaux qui ne se veut pas du tout être transparente.
En discutant avec des vignerons bio de Bordeaux, nous avons appris que le CIVB s’occupait trop peu des viticulteurs bio. Aucune communication n’est faite en leur faveur. Ce que n’a pas réfuté le président du CIVB Bernard Farges, affirmant que le bio avait intérêt à rester un marché atypique et affirmer une identité forte.
Recherche de chiffres
Voir aussi la rubrique Les jeux de données
Nous avons d’abord trouvé les chiffres de 2011 à 2014 des surfaces bio et de surfaces en conversion bio par région disponible sur le site de l’agence bio. Nous avons ainsi pu montrer que si le nombre de surfaces bio stagne, celui des conversions diminue. Ce qui confirme le manque d’intérêt des viticulteurs.
Nous avons également reçu la liste des exploitants bio de Gironde avec le nom de l’exploitant, les données géographiques et la date d’entrée dans le bio par la doctorante Frédérique Célérier, qui avait scrappé un à un les noms de tous les agriculteurs bio d’un annuaire institutionnel. Cela nous a permis de situer deux épicentres dans l’agriculture bio : Côte-de-Bourg et Saint-Emilion.
Nous avons également récupéré les chiffres de l’ensemble des surfaces viticoles sur le site du ministère de l’Agriculture « Disar » de France pour faire le pourcentage de bio sur le total des exploitants.
Pour recueillir l’avis des consommateurs, nous avons mis en place avec Google Form un questionnaire « Le vin bio de Bordeaux et vous ? » au nom transparent. Leur préférence entre le vin bio et le vin conventionnel, si le prix était un facteur important, ou le goût. Nous voulions ainsi combattre l’argument de beaucoup d’institutions qui voudrait que l’offre n’ait pas encore rencontré sa demande.
Enquête de terrain
Nous nous sommes rendus au Château Pontet-Canet à Pauillac. Nous avons rencontré le régisseur, Jean-Michel Comme. Nous avons choisi ce château, car c’est le seul grand cru certifié bio et biodynamique. Nous l’avons interrogé sur ses motivations à produire bio alors qu’il ne rencontre que peu de soutien. Nous avons ainsi pu nous appuyer sur le cas précis d’un grand château de Bordeaux passé en bio pour différentes raisons : philosophique (pour le régisseur), symbolique (pour les propriétaires).
Nous avons rencontré la présidente du Syndicat des vignerons bio d’Aquitaine, Anne-Lise Goujon. Mais le syndicat ne représentant que 150 viticulteurs bio sur 600, sa parole institutionnelle n’est pas représentative de l’ensemble. Nous avons également rencontré son conseiller technique, Stéphane Becquet.
Etienne Laveau, conseiller viticole bio de la Chambre d’agriculture de Gironde.
Nous nous sommes également intéressés aux recherches universitaires de Frédérique Célérier qui a travaillé sur « L’impossible fabrique d’un territoire viticole bio ? » et au livre du journaliste Benoist Simmat qui parle de la mafia dans le vin Bordeaux. « Bordeaux connection ».
Lors d’une conférence de presse, nous avons pu poser des questions au président du CIVB, Bernard Farges, qui, mal à l’aise face à nos questions, n’a pas hésité à nous dire que le CIVB ne promouvait pas la filière bio.
Pour répondre au CIVB, nus avons rencontré Dominique Techer, président du CAVB (Comité d’action des vignerons de Bordeaux), qui lutte contre CVO (Cotisations volontaires obligatoires). Il apparaît que dans ce comité d’action, une majorité des frondeurs sont des producteurs bio. ça n’est pas une coïncidence…
Nous nous sommes également intéressés aux concours de vin. Est-ce que les vins bio ont autant de chance de gagner que les conventionnels ? Nous avons ainsi interrogé Bernard Gorioux qui a gagné 3 médailles d’or au concours général d’agriculture en présentant du vin bio de Bordeaux. Pour lui, il n’y a aucune différence entre le goût des bios et des conventionnels. Nous nous sommes donc demandé pourquoi il y avait si peu de médaillés bio. Un désintérêt des viticulteurs bio à participer à ce genre de concours ? Il existe également des concours réservés aux bio, comme le concours Amphore ou Millésime. Est-ce que cela démontre que la bio entretient elle-même sa place en marge du conventionnel ?
Traitement des données
A partir des données géographiques et de la liste des exploitants bio de Gironde, nous avons pu établir une carte sur le site Cartodb. Puis nos concentrer sur les dates d’entrée dans la viticulture bio et montrer l’augmentation du nombre d’exploitations bio depuis 1995.
Mais nous voulions également comparer la position des points par rapport aux AOC des vins de Bordeaux. Ce travail a été beaucoup plus compliqué.
Nous avons d’abord fait une capture d’écran de la carte des AOC et nous avons créé un fichier kml à partir des points géolocalisés de Cartodb. Nous avons essayé de construire une carte sur QuantumGIS : un échec. Puis nous avons essayé avec Google Earth pour superposer les cartes. Le résultat est plus parlant et esthétique.
Nous avons voulu également comparer le nombre de vins bio de type (AB)et biodynamie, Demeter et Biodyvin, tout en expliquant les différents labels.
Visualisation finale
Nous avons également décidé d’introduire notre article par cas précis de viticulteur bio qui rencontre lui-même des problèmes de reconnaissance. Et pour compléter son témoignage, nous avons réalisé deux vidéos. Une interview de la présidente du Syndicat des Vignerons Bio d’Aquitaine (SVBA) et un reportage à l’apéro bio organisé au CIVB. On voulait notre reportage interactif et multimédia. Nous avons donc réalisé une carte montrant l’évolution des entrées en bio en Gironde.
Puis des graphiques sur le site Infogram qui montrent la chute du taux de conversion vers le bio depuis 2011, ainsi que le classement moyen du Bordelais par rapport aux autres régions viticoles.
Nous avons enfin réalisé un graphique présentant les réponses des personnes ayant répondu à notre questionnaire. Le graphique peut évoluer en fonction des réponses données.
Benjamin Pietrapiana, Alice Fimbel-Bauer, Vincent Trouche