Endrine, trichloroéthylène, fluoranthène… Des noms barbares qui semblent incompréhensibles à première vue. Pourtant, ces polluants se trouvent sous nos pieds, dans les nappes d’eau souterraines de l’agglomération de Bordeaux qui servent de bassins d’alimentation en eau potable. Ces sources sont globalement peu polluées, mais si l’on se réfère aux Normes établies par l’Union Européenne, le constat est plus mitigé.
L’Aquitaine est l’une des régions de France qui utilise le plus ses sources d’eau souterraines pour son réseau d’eau domestique. En Gironde, ce sont les nappes profondes (par opposition aux nappes superficielles) qui servent, dans certains cas et après traitement par le délégataire en charge de la gestion du réseau, de bassins d’alimentation pour l’eau potable : c’est le cas sur l’agglomération de Bordeaux.
Parfois vieille de plusieurs milliers d’années, l’eau stockée dans ces nappes profondes est protégée par plusieurs couches imperméables, laissant peu passer les différents polluants.
Sur les milliers d’analyses effectuées depuis 20 ans dans différents points de prélèvement situés sur le territoire métropolitain, les concentrations en différents polluants semblent faibles. Les eaux profondes sont peu contaminées par ces polluants qui font le malheur des rivières, comme les métaux lourds.
Pourtant, l’état écologique de ces nappes n’est pas parfait. Tout est une question de critères et de normes. En 2000, le Parlement Européen a voté la mise en place de la Directive Cadre sur l’Eau, établissant, entre autre, une liste de substances dites prioritaires, c’est à dire de substances polluantes qui doivent être surveillées en priorité, et en établissant des Normes de Qualité Environnementales.
En analysant les données de ce point de vue, on détecte rapidement plusieurs polluants dont le taux dépasse ces normes de qualités environnementales. Certaines à la toxicité très élevé.
Le trichloroéthylène est une molécule issue d’un solvant à base de chlore. Sa dangerosité pour l’humain n’est pas prouvée, mais la particule a une histoire.
Au Canada, dans le village de Shannon, les habitants avaient remarqué un taux élevé de cancer. En analysant les nappes phréatiques, ils découvrirent rapidement que les différentes sources étaient polluées au trichloroéthylène à de très forts taux, allant jusqu’à près de 900 microgrammes par litre (le taux en France étant de 10 microgrammes par litre). Une étude menée par l’Institut National de la Santé Publique québecois n’a pas établi de lien de cause à effet entre la contamination au trichloroéthylène et l’occurrence de cancer. Mais la population s’est ensuite mobilisée en un recours collectif contre l’État.
A l’instar du trichloroéthylène, d’autres molécules sont présentes dans les eaux souterraines de la CUB. Citons par exemple l’endrine, le fluoranthène ou encore le pentachlorobenzène.
Souvent présentes à faibles doses, ces molécules se retrouvent tout de même dans les différents relevés.
Il est toutefois difficile d’en établir la cause, par exemple de lier la présence d’industries polluantes dans l’agglomération et la pollution des nappes profondes.
En ce qui concerne les stations d’épuration
Ces différents polluants sont la majeure partie du temps éliminés par les stations d’assainissement ou d’épuration. Mais pas toujours. Un membre de l’association SEPANSO, la Fédération des Sociétés pour l’étude, la Protection et l’Aménagement de la Nature dans le Sud-Ouest, évoque des polluants émergents, qui passent souvent au travers du filet des stations.
Si les eaux souterraines de la Gironde sont propres et non polluées, elles sont néanmoins traitées avant d’arriver sur le réseau d’eau potable. Notamment parce que l’on trouve naturellement dans ces eaux une forte concentration de fer et de manganèse. C’est en majorité là-dessus que se concentrent les stations d’épuration et d’assainissement : elles sont équipées pour réduire les concentrations de ces métaux en confirmité avec les normes européennes sur l’eau potable. Du chlore est aussi utilisé pour éviter la prolifération de bactéries dans le réseau.
« Mais en fait, on ne sait pas ce qui rentre et on ne sait pas ce qui sort de ces stations d’épuration », constate un membre de SEPANSO *, interlocuteur privilégié à Bordeaux sur les questions liées à l’eau. Il déplore que Bordeaux-Métropole n’ait jamais rendu publique des données chiffrées quant aux polluants présents dans l’eau que l’on boit.
« Au niveau des stations d’épuration, ça communique très peu », renchérit SEPANSO.
Focus sur les micropolluants : un « retard sur la question »
Si un manque de transparence est dénoncé par le membre de l’association c’est parce que, selon lui, les stations d’épuration ne sont pas équipées pour faire face à un autre problème : les micro-polluants. Ce terme, un peu fourre-tout, évoque les milliers de molécules dont la classification varie selon plusieurs critères : leur origine, le type de pollution qu’elles provoquent, leur usage, leur effet sur la santé et/ou l’environnement…
Comme source de cette pollution, on peut évoquer l’exemple des établissements de médecine tels que les hôpitaux, les cliniques vétérinaires ou encore les cabinets médicaux, qui rejettent des eaux usées avec une forte concentration de pollution médicamenteuse. D’ailleurs chaque foyer français rejette lui aussi en doses moindres des substances médicamenteuses par le biais des urines. Ces eaux rejoignent le réseau d’assainissement qui n’est malheureusement pas équipé pour dégrader ces molécules dont l’effet à long terme est encore imprécis.
« On a mis en évidence ce problème que très récemment parce qu’on n’avait pas pensé à chercher en ce sens-là avant. La France est d’ailleurs un peu en retard sur la question », explique SEPANSO. « L’impact de ces rejets sur l’environnement est encore imprécis. Il faut faire des recherches et des analyses plus poussées en ce sens », ajoute-t-il. Le membre d’ajouter qu’il est difficile de déterminer l’avenir de certaines molécules. Certaines peuvent être dégradées, d’autres vont s’accumuler et perdurer.
Des recherches sur la question, il y en a. Mais on en est encore qu’à l’état des lieux, et rien n’est pour le moment rendu public.
Ce que constatent ces études c’est que le phénomène n’est pas nouveau mais s’accélère.
« Ce qui est difficile à établir à l’heure actuelle, ce sont les liens de causes à effet », précise SEPANSO. « Quand on est objectif, on se rend bien compte que globalement la santé des Français s’est améliorée. Il est donc un peu compliqué de pointer du doigt l’eau et ses potentiels polluants qu’elle transporte », admet-il.
Donc l’eau n’est a priori pas impropre à la consommation puisqu’elle répond aux critères européens de “potabilité”. Mais sa qualité n’est regardée qu’à ce niveau, et le reste ne fait pour l’instant pas l’objet de plus de préoccupations. La raison première est qu’aucun problème sanitaire majeur n’a pour l’instant émergé. La deuxième, plus hypothétique, est que la reconversion de toutes ces centrales d’épuration aurait certainement un coût faramineux.
Quelques « Fun Facts » sur l’eau
Jaël Galichet, Willy Moreau et Maxime Turck